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l’Observatoire tunisien de l’économie

An 2 de la révolution tunisienne : Les intérêts économiques privés contre l’intérêt général


par l’Observatoire tunisien de l’économie

3 juillet 2013

En octobre 2012, un projet de loi présenté comme ayant été élaboré par le gouvernement tunisien a été déposé à l’Assemblée Nationale Constituante afin de mettre en place le cadre juridique des partenariats public-privé (PPP)1. Ce projet de loi a été préparé sous le gouvernement de "gestion des affaires courantes" de Béji Caid Essebsi, alors Premier Ministre, et ce dès les premiers mois consécutifs à la révolution en 2011.

Une loi financée par les bailleurs de fond internationaux

Ce projet de loi bénéficie d’un important soutien des bailleurs de fonds et de lobbies tel que l’IPEMED, un think tank français. Sa mise en ouvre est une conditionnalité des prêts de la Banque Européenne d’Investissement2, de la Banque Africaine de Développement (BAD) et de l’ Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Pour implémenter ce projet de loi, la Tunisie bénéfice d’ailleurs de l’assistance technique de ces institutions financières internationales, comme le révèle un document officiel de la BAD "Operationnalizing PPP"3 : "La BAD et l’OCDE sont prêtes à soutenir la Tunisie dans ce programme, et en sont heureuses. Nos deux organisations travaillent main dans la main pour aider le gouvernement à preparer cette proposition."

L’International Finance Corporation (l’IFC, la branche de la Banque Mondiale finançant le secteur privé) est aussi impliquée. L’IFC travaille actuellement à la réforme de l’environnement institutionnel des investissements en Tunisie, et explique que sa "mission de conseil jouera un rôle majeur : elle permettra de construire un environnement propice aux affaires, de renforcer les marchés financiers, de répondre à l’inadéquation des compétences et de soutenir les partenariats public-privé dans le domaine des infrastructures." Pour "améliorer" le cadre des investissements internationaux, la mission d’assistance technique s’élevant à 2,4 millions de dollars menée par l’IFC travaillera avec le Ministre de l’Investissement pour "re-structurer le régime d’incitations et introduire de nécessaires évolutions législatives et institutionnelles."

Un projet de loi rédigé par des étrangers

"Ce projet de loi est une traduction, il est incompréhensible, nous devons convoquer les membres du gouvernement qui y ont contribué pour des explications" remarque un député lors de la première session de discussion du projet de loi. Les doutes soulevés par nos députés lors de cette session ont été confirmés par nos experts du droit public tunisien. Mustapha Beltaief, professeur à la Faculté de droit et de sciences politiques de Tunis et ancien membre de la commission d’experts de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, affirme : "Celui qui a rédigé ce texte de loi ne peut être un tunisien au vu des termes juridiques utilisés, il n’a pas été rédigé par des juristes tunisiens".

Débats critiques au parlement

Lors de la seconde session de la Commission des Finances sur ce projet, les membres du gouvernement présents ont été surpris de voir une audience de députés critiques et virulents à l’égard de ce vaste projet de privatisation.

Aucune circonscription aux secteurs stratégiques n’a été définie, cette loi va permettre de tout privatiser, que ce soit la défense, la sécurité, la santé, le numérique (ce qui permettrait aux entreprises privées d’avoir accès à toutes les données des administrations), etc. Quant à l’impact sur le développement régional, pour lequel le gouvernement "vante" cet outil, les PPP n’y feront rien : d’une part, ce dernier n’a aucune stratégie de développement pour les régions intérieures ; d’autre part, si les investisseurs privés avaient voulu investir dans le développement de ces régions, ils l’auraient fait dès 1972, date à laquelle de nombreux avantages le leur permettaient. Leur seul intérêt dans les régions intérieures réside dans l’exploitation de nos ressources naturelles. En témoigne le premier exemple de projet de PPP fourni par le ministre Ridha Saidi : l’exploitation de la mine de phosphate de Sra Ouertane.

Le député indépendant Salah Chaouaib adopte un ton critique : "vous parlez de rupture avec le passé, quelle est la rupture avec cela ? C’est la continuité bien au contraire, pour l’exploitation de nos richesses naturelles par le privé". Quant à Mabrouka Mbarek, député du parti politique Congrès pour la République, il renchérit en expliquant que le Fonds Monétaire International "a exigé l’arrêt de son utilisation au Portugal, étant à l’origine du décuplement des dettes publiques, pourquoi devrait-on accepter de répliquer un montage financier qui est à l’origine des insolvabilités des états !".

Face aux critiques, Asma Sehiri, directrice du département juridique du premier ministère se justifie : "ce n’est pas vraiment une privatisation . et c’est une des conditions des prêts de l’UE". Le mot est lâché : c’est une condition de l’UE en échange de ses prêts. Du chantage par la dette.

La pression des bailleurs de fonds

En mars 2013, lors d’une conférence sur le PPP à l’Assemblée Nationale à Paris, l’objectif des bailleurs de fonds a été résumé par le représentant de la BAD : " Tunisia= Business", et les critiques des parlementaires tunisiens sur la loi PPP ont été qualifiées par certains de "grabuge".

Ainsi, face à la résistance des sociétés civiles et des parlementaires, la démocratie devient un obstacle aux plans d’enrichissement du privé. Une question émerge alors : comment contourner le Parlement ?

Le ministre Ridha Saidi a déclaré lors d’une conférence de presse en mai 2013 qu’une "commission ad hoc" serait constituée au sein du premier ministère afin d’étudier les lois comme celle sur les PPP qui sont engorgées au Parlement. Dernièrement, Ridha Saidi a déclaré4 qu’une nouvelle loi était en préparation : "les conditions, les procédures et les mécanismes du partenariat public-privé seraient définis par décret" : doit-on conclure qu’une loi assez générale se prépare et qu’elle privilégiera des renvois à des décrets pour être plus à même de faire passer les modalités de l’ancienne loi ? Il s’agit clairement d’un subterfuge pour passer en force.

La pression de ces lobbies et le chantage des institutions financières internationales fragilisent la transition démocratique, que ces derniers s’évertuent à soutenir publiquement. Ils poussent le gouvernement à se durcir et à adopter des pratiques arbitraires, opaques et dictatoriales. Ces pratiques qu’ils n’ont cessé de financer du temps de Ben Ali.

Ce temps est révolu, on ne laissera pas faire.

Par l’Observatoire tunisien de l’économie, Tunis, Tunisie

Publié : Bretton Woods Project


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