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Eric Berr

La dette inexistante


par Eric Berr

30 mai 2005

Les questions de développement seront au cœur du prochain sommet du G8, qui se tiendra du 6 au 8 juillet prochain à Gleneagles (Ecosse). Il s’agira en effet de trouver de nouvelles sources de financement afin de relancer les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Fixés en 2000, ces objectifs prévoyaient notamment de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015 et de combattre des pandémies comme le paludisme et le sida. Au tiers du parcours, aucun progrès n’a été réalisé. Afin de masquer cet échec, les grands de ce monde rivalisent de bonnes intentions. Tony Blair parle d’annulation de la dette des pays africains. Après l’avoir qualifiée d’irréalisable il y a peu, Jacques Chirac reprend le thème d’une taxe de type Tobin sur la spéculation financière, les ventes d’armes, les billets d’avions, etc. afin de dégager des ressources supplémentaires pour financer le développement. Mais, en raison des divisions entre les pays riches, il y a fort à parier que les (maigres) espoirs des pays en développement (PED) seront une nouvelle fois déçus.

Il y a pourtant urgence pour les PED qui, depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982, se sont vus imposer les préceptes du « consensus de Washington », expression qui édicte les dix commandements de la bible économique néo-libérale. Basées sur le désengagement de l’Etat et sur une ouverture croissante des économies, ces politiques, loin de conduire à un rattrapage des pays « développés », se sont traduites par une augmentation de la pauvreté et des inégalités en de nombreux endroits de la planète. La réalisation des OMD nécessite de sortir les PED de l’impasse vers laquelle ils ont été poussés, donc de rompre avec un modèle qui fait de la dette un instrument de domination. De nombreux arguments justifient l’annulation de la dette des PED.

Sur le plan économique, il est acquis que les PED ont déjà largement remboursé leur dette puisqu’ils ont transféré à leurs créanciers environ neuf fois le montant de leur dette de 1980 et se retrouvent malgré tout quatre fois plus endettés. Ils continuent pourtant de payer environ 230 milliards de dollars chaque année au titre du service de leur dette extérieure, ce qui est un obstacle majeur à la satisfaction des besoins essentiels de leurs populations. Il apparaît même que les flux financiers sont actuellement dirigés du Sud vers le Nord. Ainsi, entre 1997 et 2003, les Etats des PED ont remboursé à leurs créanciers du Nord 323 milliards de dollars de plus que ce qu’ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. De même, les réserves accumulées, 675 milliards de dollars ces deux dernières années, ne servent pas au développement mais sont placées au Nord afin d’accumuler les devises nécessaires au remboursement de la dette. Ce faisant, les PED financent les déficits colossaux accumulés par les Etats-Unis, et dans une moindre mesure par l’Europe.

Depuis plusieurs siècles, le Nord pille les ressources du Sud. Ce fut tout d’abord par la force qu’il s’appropria les ressources humaines et naturelles du Sud, empêchant ainsi tout développement autonome de ces pays. C’est par la domination économique que continue aujourd’hui ce pillage. Le Nord a donc une dette historique envers le Sud et l’annulation de celle des PED constituerait une première réparation des préjudices subis.

Reconnaissons toutefois que l’endettement excessif de nombreux pays du Sud provient en partie du fait que leurs dirigeants, bien souvent aidés par les créanciers du Nord, ont détourné une part non négligeable des sommes prêtées à leur pays. Le droit international, par l’intermédiaire de la doctrine de la dette « odieuse », reconnaît que toute dette souveraine encourue sans le consentement des populations et sans bénéfice pour elles ne doit pas être remboursée, en particulier si les créanciers avaient connaissance de cet état de fait. Les Etats-Unis en ont fait un usage fort à propos, en obtenant en novembre 2004 l’annulation de 80% de la dette extérieure publique de l’Irak, « punissant » ainsi ses principaux créanciers, en particulier la Russie, la France et l’Allemagne...

Enfin, l’annulation de la dette est souhaitable pour des raisons écologiques. En effet, deux causes essentielles mènent à la dégradation de l’environnement : au Nord, il s’agit du mode de développement, basé sur l’idée que « plus = mieux », qui épuise les ressources naturelles tout en entraînant à la fois surproduction et surconsommation ; au Sud, c’est la pauvreté qui condamne les populations à céder leurs ressources à bas prix et à accepter sur leur sol des industries très polluantes. Ainsi, les économies occidentales, principales responsables des différentes atteintes à l’environnement - pollution de l’air et de l’eau, accumulation des déchets toxiques, etc. -, arrivent pourtant à faire supporter aux pays du Sud les conséquences d’un mode de vie auquel ils n’ont pas accès.

En définitive, promouvoir un développement socialement équitable et écologiquement soutenable passe par un rééquilibrage des rapports Nord-Sud. Annuler une dette qui n’en est pas une est un premier pas.

publié dans Sud Ouest, 30 mai 2005

Eric Berr
Maître de conférences en économie à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
Membre du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM)


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