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Eric Toussaint

Syriza, Podemos et les mouvements en Europe contre la dette illégitime

1| Ce texte a été élaboré à partir de l’exposé oral présenté à la conférence citoyenne européenne sur la dette qui s’est tenue le 16 octobre 2015 à Bruxelles. Voir le compte-rendu général de cette journée. L’auteur remercie Noémie Cravatte, Damien Millet, Rémi Vilain, Brigitte Ponet, Jérémie Cravatte et Pierre Gottiniaux pour leur collaboration.

|2| Voir Éric Toussaint, « Si un gouvernement Syriza appliquait à la lettre un règlement de l’UE sur la dette... », publié le 22 janvier 2015 http://cadtm.org/Si-un-gouvernement-Syriza

|3| Voir http://cadtm.org/Annonce-officielle-de-la-creation et http://www.rtbf.be/info/dossier/euranetplus/detail_il-est-possible-et-logique-de-remettre-en-cause-la-dette-grecque?id=8933653

|4| J’ai expliqué cela dans : Éric Toussaint, « Grèce : pourquoi la capitulation ? Une autre voie est possible (texte de la vidéo avec notes explicatives) », publié le 27 août 2015 http://cadtm.org/Grece-pourquoi-la-...

|5| « Un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité. » Voir http://cadtm.org/Grece-pourquoi-la-capitulation-Une,12143

|6| Voir http://cadtm.org/Espagne-pres-d-un-demi-million-d.

|7| Voir http://cadtm.org/Strike-debt-un-plan-de-sauvetage . Strike Debt, ’United States : The Debt Resisters’ Operations Manual’, 25 mars 2014, et http://cadtm.org/The-Debt-Resisters-Operations

|8| Voir http://cadtm.org/Etats-Unis-Les-abus-des-banques

|9| Voir http://www.lalibre.be/economie/actualite/nombre-record-de-belges-en-retard-de-remboursement-d-un-credit-5505352e3570c8b9529e8125

|10| Voir http://cadtm.org/Des-femmes-contre-le-piege-du , et http://cadtm.org/Micro-credit-Degage-Sur-la-lutte


por Eric Toussaint

13 de marzo de 2016

La nécessité d’un Plan B en Europe

Suite à la capitulation du gouvernement grec en juillet 2015 face aux créanciers et aux institutions européennes, il est nécessaire d’avancer dans l’élaboration d’un plan B. Pour résoudre les problèmes d’une société en rompant avec les orientations néolibérales qui sont appliquées depuis des décennies, il faut à la fois, mettre en œuvre des mesures d’ordre fiscal – et pas simplement pour prendre aux riches un maximum et remettre cela dans les caisses de l’État, mais pour réduire aussi, de manière drastique, les taxes injustes et les impôts injustes qui portent sur la majorité de la population –, appliquer des mesures au niveau de la dette, introniser des mesures au niveau de la banque, instaurer des mesures en termes de monnaie complémentaire – surtout si on est dans le cadre de l’euro, mais pas seulement –,évidemment, abroger toute une série de mesures injustes d’austérité, et lancer un processus constituant qui repose sur une participation active des citoyennes et des citoyens. Si nous nous réunissons en une assemblée citoyenne européenne sur la dette, ce n’est pas pour constituer une sorte de contingent qui dans tous les débats va venir avec le thème de la dette et répéter sans arrêt le même discours, c’est pour réfléchir entre nous, entre toutes les organisations et mouvements qui participent à la fois au mouvement-dette et au mouvement d’ensemble qui résiste au néolibéralisme, afin de faire converger les luttes tout en y intégrant en bonne place les revendications et alternatives concernant le rejet des dettes illégitimes.

Le mouvement pour l’audit citoyen de la dette est très jeune en Europe

En Europe, le mouvement pour l’audit citoyen de la dette est jeune, il n’a que 4 ans d’existence. Il s’agit d’un mouvement nouveau qu’il faut consolider. Je donne juste quelques dates : le mouvement en Grèce est né en mars-avril 2011 – l’audit citoyen de la dette grecque, connu comme ELE en Grèce – et, pour le lancer, nous étions 3000 en mai 2011 dans une université à Athènes. Il a ensuite rebondi, ou s’est développé quasiment simultanément, en Espagne, dans le cadre du mouvement des Indignés de mars-avril-mai 2011 quand une série de commissions économiques du mouvement des Indignés, notamment la commission économique de la Puerta del Sol à Madrid, a commencé à se poser la question de la dette, à remettre en cause la légitimité de la dette et à recourir à l’instrument de l’audit citoyen. Dans la foulée du mouvement des Indignés est née la plate-forme d’audit citoyen de la dette (PACD). Puis, il a débarqué au Portugal où a commencé un débat sur la remise en question du paiement de la dette en recourant dans un premier temps à l’audit. Une première conférence a eu lieu au mois de juin 2011 à Lisbonne, ce qui a débouché sur la création de l’Initiative pour un audit citoyen (IAC) de la dette en décembre 2011 (voir le site de l’IAC). L’IAC a produit un premier rapport en 2012 (voir http://cadtm.org/Portugal-Connaitre...). En France, le mouvement est né en septembre 2011 après qu’Attac et le CADTM en France se sont concertés avec toute une série de mouvements, pour lancer le Collectif d’audit citoyen (CAC, voir texte de référence). En Belgique, cela a pris un peu plus de temps car l’audit citoyen de la dette (ACiDe) est né en février 2013 (voir ici).

A l’échelle de l’Europe et de la Méditerranée, la première initiative de coordination des initiatives d’audit citoyen a été réalisée à Bruxelles en avril 2012 quand a été constituée ICAN (International Citizen Audit Network – le réseau international d’audit citoyen) à l’invitation du CADTM Europe. La première réunion euro-méditerranéenne du réseau d’audit citoyen des dettes s’est tenue le 7 avril 2012 à Bruxelles. Les pays représentés étaient au nombre de 12 : Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie, Pologne, Royaume-Uni, France, Allemagne, Belgique, Égypte et Tunisie. Dans ces différents pays venaient de naître un processus d’audit citoyen de la dette ou/et une campagne contre l’austérité en intégrant la problématique de la dette (voir cet article et également le site de ICAN).

C’est un nouveau mouvement qui a rencontré des problèmes depuis le début. Une série de forces politiques radicales disent « pourquoi auditer la dette, la dette il faut l’annuler, l’auditer c’est une forme de légitimation de la dette » et de ce fait, les représentants de ces forces quittent le mouvement et refusent de soutenir une initiative d’audit citoyen de la dette. En Grèce, la majorité de la gauche radicale a décidé de ne pas soutenir l’audit citoyen de la dette (que ce soit la coalition de gauche radicale Antarsya, une bonne partie de Syriza ou le parti communiste qui est allé jusqu’à nous traiter en ennemis). Heureusement, il y avait des militants et militantes de certaines organisations de gauche (une partie de Syriza, quelques militants du NAR membres d’Antarsya, des syndicalistes), mais la plupart des membres étaient des individus ou des organisations citoyennes se mobilisant sur la question de la dette, sans avoir le soutien d’organisations politiques. On attend toujours des organisations politiques qui ont refusé de soutenir l’audit de la dette en Grèce qu’elles nous disent, après avoir lule rapport préliminaire produit en juin et celui de septembre 2015, si notre travail a servi à légitimer une partie de la dette ou non. Ce qui est certain c’est que si ces organisations au lieu de nous critiquer ou de se contenter de rester au balcon avaient participé à l’audit en présentant des arguments en faveur de l’annulation, cela aurait certainement renforcé celles et ceux qui voulaient mettre réellement en œuvre une politique alternative à la capitulation d’Alexis Tsipras et de son gouvernement.

Dans tous les pays, de tels problèmes ont été rencontrés. Ce qui est évident, c’est qu’on n’est pas du tout bien accueilli par les gouvernements. Comme l’a dit Zoé Konstantopoulou qui a présidé le Parlement grec de février à septembre 2015 inclus (voir la vidéo de son intervention en anglais), les gouvernements ne veulent pas auditer la dette car ils ne veulent pas remettre en cause radicalement sa légitimité, son caractère odieux, sa soutenabilité du point de vue du respect des droits humains. Le comble, c’est qu’il y a un règlement européen, depuis mai 2013, qui enjoint aux États sous assistance financière d’auditer la dette |2|. Jusqu’ici, aucun gouvernement n’a décidé d’initier un tel audit et encore moins de le mener à bien. Heureusement, la présidente du Parlement grec a décidé en mars 2015 de le faire, dans la prolongation de l’audit de la dette (ELE) |3|. Au début, elle a réussi à obtenir le soutien du gouvernement mais il n’a finalement pas véritablement utilisé l’arme de l’audit et il ne s’est pas appuyé sur les conclusions du rapport préliminaire publié en juin 2015 pour affronter les créanciers.

Une des leçons de la Grèce : le mouvement citoyen n’a pas exercé suffisamment de pression sur les partis de gauche, notamment sur Syriza

Une des leçons fondamentales de ce qui s’est passé en Grèce, est que le mouvement d’audit citoyen qui avait très bien démarré en 2011 ne s’est pas suffisamment renforcé, n’a pas maintenu et n’a pas créé la pression nécessaire – sur notamment différentes forces politiques, et pas simplement Syriza – pour obtenir qu’en cas d’accession au gouvernement, la réalisation de l’audit de la dette avec participation citoyenne constitue une obligation, une priorité incontournable. C’était pourtant dans le programme que Syriza a présenté aux élections de mai-juin 2012.

Alors que Syriza avait obtenu 4 % aux élections de 2009, elle réussit en mai 2012 à réunir 16 % des voix, puis 26,5 % un mois plus tard lors des élections de juin 2012, juste 2 points en-dessous de Nouvelle démocratie, le grand parti de droite. Syriza est ainsi devenu le 2e parti en Grèce. Entre les deux tours, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) :

  • l’abolition de toutes les mesures antisociales (y compris les réductions des salaires et des retraites) ;
  • l’abolition de toutes les mesures qui ont réduit les droits des travailleurs en matière de protection et de négociation ;
  • l’abolition immédiate de l’immunité des parlementaires et la réforme du système électoral ;
  • un audit des banques grecques ;
  • la mise sur pied d’une commission internationale d’audit de la dette combinée à la suspension du paiement de la dette jusqu’à la fin des travaux de cette commission.

Il n’y a pas eu suffisamment de pressions sur Syriza venant des citoyens mobilisés pour dire que ces cinq points doivent rester la priorité. L’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours d’Alexis Tsipras et des autres dirigeants de Syriza |4|. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 (voir plus haut) a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour notamment réduire la dette grecque. Lorsque Syriza a constitué le gouvernement après sa victoire électorale du 25 janvier 2015, la suspension du paiement et l’audit avaient à tort été mis de côté. Cela devrait nous renforcer dans l’idée qu’il faut consacrer de l’énergie à renforcer les initiatives d’audit citoyen, afin que les forces politiques qui se proposent d’aller au gouvernement s’engagent très fermement à adopter des mesures fortes pour affronter le défi du remboursement de la dette illégitime.

Leçons de l’expérience de l’audit et de la suspension du remboursement de la dette en Équateur

J’ai participé à la commission d’audit équatorienne constituée par le gouvernement équatorien en juillet 2007. Nous avons travaillé de juillet 2007 à septembre 2008 et, sur la base de nos conclusions, le gouvernement a suspendu le paiement d’une partie de la dette et a imposé une défaite aux créanciers. Cela a permis à l’État d’économiser 7 milliards de dollars qui ont été réinvestis dans des dépenses sociales. Cela constitue une victoire totale de l’Équateur dans le cadre d’une suspension partielle. Mais ce n’est pas tombé du ciel, on avait construit une campagne depuis l’année 2000. Une bataille de 6 ans avait été menée pour démontrer à la population que la question de la dette dans le cas équatorien était centrale. On a commencé par une chose très concrète : un pays comme la Norvège réclame à l’Équateur une dette qui a servi a acheté 5 bateaux de pêche. Que sont devenus les 5 bateaux de pêche livrés par la Norvège à l’Équateur ? Les activistes équatoriens du mouvement dette ont démontré que ces navires avaient été transformés en bateaux pour transporter des bananes au profit d’un grand exportateur privé équatorien. On a commencé par s’attaquer à ce problème-là en 2000. Mais dans ce mouvement, qu’y avait-il ? Il y avait notamment Ricardo Patiño, qui est aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, après avoir été le ministre de l’Économie et des Finances lorsque nous avons réalisé l’audit en 2007-2008. C’est-à-dire que parmi les gens qui ont dirigé l’initiative d’audit citoyen, certains ont occupé ensuite des postes de gouvernement et ont respecté l’engagement qu’ils avaient pris de résoudre le problème de la dette illégitime. Au moins il faut leur reconnaître que sur cette question-là, ils ont été cohérents et courageux. Ils ont posé, à partir du gouvernement, un premier acte unilatéral : lancer une commission d’audit que ni les créanciers ni la communauté internationale ne voulaient. Ensuite, ils ont posé un deuxième acte unilatéral sur la base des résultats de la commission d’audit : la suspension, sans demander à personne le droit de le faire, du paiement de la dette. Et cela dans une situation particulière : l’Équateur avait de quoi rembourser la dette. Donc c’était particulièrement scandaleux pour les créanciers que l’Équateur dise : « Moi j’arrête de rembourser une dette que j’ai identifiée comme illégitime alors que j’ai de quoi payer avec l’argent du pétrole. Moi, État équatorien, je veux que les recettes pétrolières servent au peuple et non à des créanciers illégitimes ». Si on a réussi en Équateur, c’est parce qu’un rapport de force avait été construit à partir d’en bas sur les forces politiques qui se sont propulsées au pouvoir et parce que le président de la République et plusieurs ministres occupant des postes clés étaient favorables à forcer les créanciers à des concessions. Ce que je viens de décrire vaut tout au moins pour les trois premières années du gouvernement, soit la période 2007-2009.

Leçon pour PODEMOS en Espagne

Si cette leçon pouvait être appliquée dans d’autres pays, à commencer par l’Espagne, ce serait un grand pas en avant. Faire en sorte que Podemos et d’autres forces alliées, s’ils font partie d’un gouvernement, ne puissent pas lâcher sur la question de la dette au nom de la realpolitik. Essayer que Podemos et ses alliés soient sous la pression des citoyens espagnols, que les mouvements qui les soutiennent ne réduisent pas la pression et l’activité sur cette question. Si la plate-forme d’audit citoyen de la dette (PACD) en Espagne ne retrouve pas la force et la dynamique qu’elle a eues en 2011-2012, des dirigeants de Podemos peuvent très bien dire : « Finalement la dette illégitime, ce n’est pas une question centrale ». La pression des médias espagnols sur Podemos et ses alliés est très forte, ils disent « si Podemos arrive au gouvernement, cela va être aussi mauvais qu’en Grèce ». Du coup, une série de dirigeants de Podemos essaient de contourner la question en disant que l’Espagne n’a pas un vrai problème de remboursement de la dette. Ils insistent sur le fait que l’Espagne se finance sans problème sur les marchés financiers tandis que la Grèce n’a plus accès à cette source de financement. Donc des dirigeants de Podemos affirment qu’en Espagne, le remboursement de la dette publique ne constitue pas un problème grave. Ils ont tort, d’autant que plusieurs facteurs qui rendent provisoirement le remboursement de la dette financièrement soutenable peuvent se détériorer. Un de ces facteurs est constitué par la mauvaise santé des banques. Si le mouvement citoyen, les mouvements sociaux, les membres de Podemos et d’autres forces de gauche lâchent sur la question de la dette en Espagne, on va avoir une autre expérience décevante comme en Grèce. Il faut donc garder en tête l’importance de ce combat et se mobiliser sans lésiner sur l’énergie à investir dans cette bataille.

La nécessité pour des gouvernements de gauche de recourir à des actes unilatéraux d’autodéfense

Une autre leçon à tirer des expériences grecque et équatorienne, entre autres, est la nécessité de poser des actes unilatéraux d’autodéfense. Le terme unilatéral ne nous plaît pas au départ, parce que nous sommes en faveur d’actions communes, pour le multilatéralisme. Nous dénonçons l’unilatéralisme des États-Unis qui imposent au reste de la planète leurs intérêts. Nous récusons l’unilatéralisme de l’État d’Israël qui viole une multitude de résolutions et la Charte des Nations unies et qui opprime le peuple palestinien. Néanmoins, l’unilatéralisme des opprimés est un droit absolument fondamental. Un gouvernement qui vient au pouvoir avec une légitimité populaire a le devoir de résister aux institutions qui imposent le remboursement d’une dette illégitime, illégale, insoutenable ou odieuse. Un gouvernement qui accède au pouvoir avec le soutien populaire doit pouvoir avoir le courage de poser l’acte unilatéral de la suspension de paiement.

Face à ceux qui affirment que si la Grèce ne paie pas la dette, cela va être le drame, il faut répondre que la Grèce, en ne suspendant pas le paiement de sa dette à partir de février 2015, a dépensé 7 milliards d’euro pour rembourser ses créanciers, alors que le plan de lutte contre la crise humanitaire constitue une dépense de 200 millions d’euros. Il s’agit donc de 200 millions face à 7 milliards ! On a vidé les caisses de la Grèce entre février et juin 2015 pour rembourser les créanciers qui du coup n’avaient aucune concession à faire.

Si vous remboursez un créancier, votre dette n’est pas son problème. Comme l’adage britannique le dit très bien, si vous avez une dette de 1000€ à votre banque et que vous ne pouvez pas la rembourser, c’est vous qui avez un problème, mais si vous avez une dette de 10 millions à l’égard de votre banque et que vous suspendez le remboursement, c’est votre banque qui a un problème.

Rappelez-vous, trois semaines après la victoire électorale de Syriza et la constitution du gouvernement dirigé par Alexis Tsipras, la Grèce a été confrontée à un refus net des créanciers représentés par le socialiste hollandais Jeroen Dijsselbloem, de tenir compte de la volonté populaire. L’Eurogroupe qui allait dorénavant représenter la Troïka dans la négociation avec le gouvernement grec a déclaré en substance : « peu m’importe les élections du 25 janvier, je décide que 1) vous continuez à rembourser à la dette, 2) on prolonge le programme d’austérité jusqu’à fin juin 2015 et vous nous faites des propositions pour nous montrer que vous êtes de bons élèves en respectant l’austérité et la voie des réformes néolibérales. On verra si on approuve vos propositions. » Si Tsipras ou Varoufakis, au nom du gouvernement grec, avait inversé la chose et déclaré autour du 20 février : « On a été de bonne volonté au cours de la négociation qui vient de se dérouler pendant 3 semaines, vous ne nous offrez rien, vous ne tenez pas compte du mandat que nous a donné le peuple grec, dès lors nous suspendons le paiement, et nous appliquons le paragraphe 9 de l’article 7 du règlement 472 du 21 mai 2013 qui enjoint à un État sous assistance financière de réaliser un audit de la dette |5|. Et pendant la durée de l’audit, nous suspendons le paiement. On verra bien 1) si vous commencerez à prendre en compte ce que le peuple grec veut et 2) si vous êtes de bonne foi à notre égard. » Si Tsipras avait fait cela, cela aurait changé le rapport de force.

Cela s’appelle un acte unilatéral d’autodéfense. Dans le genre de situation comme celle que vivait la Grèce, s’il n’y pas d’actes unilatéraux des débiteurs, il ne se passe rien de positif du côté des créanciers.

Maintenant que le gouvernement grec a capitulé, que va-t-il se passer avec la dette grecque ? Il n’est pas impossible que les créanciers fassent un petit geste si le gouvernement Tsipras II accepte les ukases de l’Eurogroupe et de la BCE, mais jamais ils ne renonceront à la majeure partie de la dette qu’ils réclament à la Grèce car c’est leur moyen de chantage. Le plus probable, c’est que les créanciers, dans le meilleur des cas, aménageront le calendrier de remboursement afin de reporter certaines échéances.

Il faut lire le rapport qu’a élaboré la Commission pour la vérité sur la dette grecque

C’est très important de lire attentivement le rapport qu’a élaboré la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Téléchargez-le gratuitement, il fait à peine 65 pages et donne une série d’arguments clés avec des définitions.

Trente personnes provenant de onze pays différents constituent la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Parmi les membres, on trouve d’éminents spécialistes en droit international, des économistes, un ancien président de banque centrale, des auditeurs et des auditrices des comptes publics, d’anciens responsables de banques, des délégués de mouvements sociaux qui ont des compétences dans de multiples domaines et qui ont une grande connaissance de l’impact des politiques imposées par les créanciers à la Grèce. Une des premières tâches à laquelle on s’est attelé a consisté à se mettre d’accord surles termes de référence et des définitions : qu’est-ce qu’une dette illégale, une dette illégitime, une dette odieuse, une dette insoutenable. Ces définitions et ces termes de référence, bien que perfectibles, peuvent être utiles pour l’audit dans d’autres pays.

Annuler la dette illégitime est une condition sine qua non mais insuffisante

Résoudre le problème de la dette illégitime, c’est une des conditions sine qua non d’une rupture avec les politiques austéritaires, mais ce n’est pas la seule. Une alternative doit consister en un plan intégré et cohérent qui comprend l’audit et la suspension du paiement de la dette ; la résolution de la crise bancaire, qui passe par leur socialisation (en Grèce, cela aurait dû passer par la mise en faillite des banques privées et la création d’un système bancaire public socialisé sain en protégeant les dépôts) ; le lancement d’une monnaie complémentaire ; des mesures fiscales très fortes pour faire payer les riches et diminuer le poids fiscal sur les pauvres ; l’abrogation des mesures injustes socialement ; l’arrêt des privatisations, la déprivatisation ; le renforcement des services publics ; la répartition du temps de travail ; des mesures pour avancer vers la transition écologique. S’il s’agit de sortir de l’euro, il faut combiner la sortie avec une réforme monétaire redistributive (voir la fin de ce texte). Il faut aussi se lancer dans un processus constituant pour modifier de manière démocratique la constitution du pays. Dans nos pays, il faut à la fois changer les constitutions nationales et il faut refonder l’Europe. Cela passe par l’abrogation des traités inacceptables. La question du processus constituant implique une grande participation populaire : les citoyens et citoyennes doivent redevenir maîtres de la question politique et des choix politiques ; et pour redevenir maîtres, il faut pouvoir redéfinir les Constitutions. Voilà une des leçons positives que l’on devrait aller chercher du côté de l’Amérique latine, ces processus constituants très riches, en 2009-2010-2011, tant au Venezuela (1999), qu’en Bolivie (2006-2008) ou en Équateur (2007-2008), qui ont permis d’ailleurs d’intégrer dans la constitution équatorienne des points aussi importants que l’interdiction totale de socialiser des dettes privées.

Il faut prendre à bras le corps le problème des dettes privées illégitimes

En Belgique ou en France, les dettes privées illégitimes ne constituent pas encore un thème central, mais en Espagne, si vous ne parlez pas de la dette hypothécaire illégitime réclamée à des centaines de milliers de famille espagnoles, vous laissez de côté une injustice fondamentale. Entre 2008 et le second trimestre 2015, 416.332 ordres d’expulsion de logements ont été pris à l’encontre de familles qui n’arrivaient plus à rembourser leurs dettes hypothécaires. Les expulsions sont une des conséquences de la crise, mais la loi qui les autorise est bien antérieure. Il s’agit de la « loi hypothécaire » imposée par décret sous la dictature de Franco en 1946, et qui demeure en vigueur |6|.

Comment voulez-vous que des gens humiliés car surendettés, abusés par les banques, jetés en dehors de leur logement et qui, malgré cela, sont encore redevables d’une partie de la dette, puissent se mobiliser tous ensemble pour qu’on arrête de payer la dette publique de l’État ? S’ils ont été défaits dans leur lutte personnelle parce qu’il n’y avait pas un mouvement de résistance suffisamment fort pour empêcher les expulsions de logement, ils risquent de ne pas trouver la force de continuer à se battre, ils risquent de considérer que la question de la dette publique illégitime ne les concerne pas. Heureusement en Espagne, un mouvement important contre les expulsions de logement s’est développé depuis 2010. La Coordination des affectés par les hypothèques (PAH) met en avant que « de nombreuses clauses abusives ont accompagné les prêts et que les biens hypothéqués en tant que garantie étaient absolument surévalués, et doivent dès lors être considérés comme des produits financiers toxiques ». Ada Colau, nouvelle maire de Barcelone depuis 2015, s’est fait connaître quand elle est devenue une des animatrices du mouvement qui s’oppose aux expulsions forcées et a participé à de multiples actions d’occupation des banques (voir sa biographie).

Au Royaume-Uni, où la réforme néolibérale a avancé davantage que sur le continent, si vous ne parlez pas de la dette des étudiants, de la dette illégitime des étudiants, vous passez à côté d’une thématique essentielle. De même, aux États-Unis où la dette réclamée aux étudiants représente plus de 1000 milliards de dollars, où depuis l’éclatement de la crise plus de 14 millions de familles ont été expulsées de leur logement, dont au moins 500 000 de manière illégale. De nombreuses victimes aidées par des mouvements sociaux, notamment Strike Debt, ont réagi en s’organisant pour affronter les huissiers et refuser l’expulsion |7|. Des milliers de plaintes ont été déposées contre les banques. Au cours des années 2010-2015, les autorités des États-Unis ont passé des accords avec les banques pour leur éviter une condamnation en justice dans le scandale des crédits hypothécaires et des expulsions illégales de logement. Il a suffi aux banques de payer une simple amende |8|.

En Belgique, même si la problématique du surendettement des ménages appauvris n’a pas pris des proportions aussi dramatiques qu’aux États-Unis, en Grèce ou en Espagne, 352.270 personnes n’arrivaient pas à rembourser leurs dettes (factures d’énergie, hypothèques, etc.) en 2015 |9| et le taux d’endettement moyen (par rapport au revenu) ne cesse d’augmenter depuis le début de la crise. L’austérité participe bien sûr à augmenter l’endettement des ménages les plus vulnérables. Partant du constat que la question du surendettement est impossible à solutionner de manière individuelle, une nouvelle initiative est née en ce début d’année pour poser la question d’un audit et de l’annulation des dettes privées illégitimes, rassemblant autour de la table le CADTM, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, le Centre d’appui au service de médiation de dettes de Bruxelles, d’autres associations et des personnes surendettées.

Si on quitte les pays les plus industrialisés, on se rend compte que la problématique des dettes privées illégitimes constitue aussi un défi pour les mouvements qui luttent contre le système-dette. En Inde, ce sont plus de 300.000 paysans surendettés qui se sont suicidés au cours des 15 dernières années (voir en anglais). Au Maroc, les victimes du microcrédit abusif s’organisent avec le soutien d’ATTAC/CADTM Maroc |10|.

Conclusion

Il n’est plus temps de tergiverser sur les possibilités de négociation avec les créanciers des dettes illégitimes. Il est clair depuis de nombreuses années qu’ils ne recherchent ni compromis, ni arrangement amiable, mais bien la mise en œuvre de tous les moyens possibles pour maximiser leurs profits. Et cela quel qu’en soit le coût humain engendré, que paient d’ores et déjà les peuples, d’Athènes à Dehli, des campus américains aux rues de Bamako. Nous ne pouvons pas non plus compter aveuglément sur la bonne volonté des partis politiques de gauche radicale, fussent-ils porteurs d’un espoir devenu bien trop rare – Syriza en est la triste preuve. Seule la mobilisation massive, autour de réclamations fortes, permettra un changement réel et durable vers une société plus égalitaire, respectant la nature et les droits fondamentaux de tous les êtres humains.


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