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Vers des indicateurs alternatifs de l’endettement des pays en développement

Les indicateurs macroéconomiques de l’endettement des PED doivent mesurer ou décrire l’état de l’endettement des pays concernés. Ils doivent mettre à jour des tendances susceptibles de conduire à des difficultés économiques, sociales ou politiques, ils doivent permettre de repérer d’éventuelles déviations de l’état de l’endettement par rapport à un état, à une situation de référence. Les indicateurs de l’endettement doivent également pouvoir permettre de mesurer l’efficience d’une action donnée. Pour répondre aux attentes exprimées, ils doivent donc rendre compte des relations de cause à effet entre une décision ou une action et ses conséquences (effet, impact, danger ou risque) sur le niveau d’endettement et/ou la charge qu’il représente.

1. Les nécessaires attributs d’un « bon » indicateur d’endettement

Les indispensables qualités d’un bon indicateur

De manière générale, il est vivement souhaitable qu’un indicateur à vocation internationale :

(i) soit le plus objectif possible, c’est-à-dire qu’il n’ait pas pour vocation de refléter les valeurs ou les positions de celui qui l’estime (par exemple, mettre en relation les montants de dette et les salaires des fonctionnaires des Institutions internationales n’est pas inintéressant, mais il n’existe pas de lien suffisamment objectif entre ces deux mesures pour qu’un tel indicateur puisse être indiscutable),

(ii) mesure des résultats et pas des potentialités,

(iii) permette d’établir une distribution des résultats obtenus,

(iv) soit simple à construire et facile à comprendre,

(v) permette des comparaisons internationales.

D’autres part, les indicateurs doivent satisfaire un certain nombre de qualités qui peuvent être parfois contradictoires :

(i) la pertinence : la mesure doit parfaitement décrire le phénomène à étudier ; elle doit être significative de ce qui est mesuré et garder cette signification dans le temps

(ii) la simplicité : l’information doit être obtenue facilement, de façon peu coûteuse et de manière à ce que l’utilisateur puisse l’appréhender de la façon la plus directe possible

(iii) l’objectivité : l’indicateur doit être calculable sans ambiguïtés à partir de grandeurs observables.

(iv) l’univocité : l’indicateur doit varier de façon monotone par rapport au phénomène décrit pour pouvoir interpréter ces variations sans équivoque

(v) la sensibilité : l’indicateur doit bouger de façon significative pour des variations assez petites du phénomène

(vi) la précision : l’indicateur doit être défini avec une marge d’erreur acceptable en fonction de la précision des mesures sur les grandeurs observables

(vii) la fidélité : l’indicateur, s’il présente un biais par rapport au concept qu’il traduit, doit garder ce biais constant sur les unités spatio-temporelles de référence

(viii) l’auditabilité : une tierce personne doit être à même de vérifier la bonne application des règles d’utilisation des indicateurs (collecte de données, traitement, mise en forme, diffusion, interprétation)

(ix) la communicabilité : les indicateurs doivent permettre le dialogue entre des populations n’ayant pas forcément les mêmes préoccupations

(x) l’acceptabilité : l’indicateur doit être vendable et ne doit pas heurter la culture de l’utilisateur potentiel

En résumé, l’indicateur doit renvoyer une image fidèle du phénomène à étudier pour permettre une évaluation rapide et simple des données à surveiller.

Un indicateur présentant ces différentes qualités peut alors avoir plusieurs fonctions différentes :

(i) il peut servir à mesurer un niveau de « performance » concernant le phénomène étudié,

(ii) il peut offrir une information visant à maintenir ou à améliorer ce niveau,

(iii) il peut permettre de détecter les défauts, les problèmes, les irrégularités, les non conformités afin d’améliorer le niveau de la « performance » observée,

(iv) il peut permettre d’apprécier les progrès réalisés et ceux qui restent à faire.

Des sources de données disponibles et reconnues

Concernant maintenant plus spécifiquement les problématiques de dette, les sources de données pouvant être mobilisées sont finalement assez peu nombreuses dès lors que l’on souhaite s’astreindre aux critères de simplicité et d’auditabilité. Objectivement, les seules données « universellement » disponibles et reconnues sont celles émanant des institutions internationales. Ainsi, et malgré les nombreuses objections que peuvent parfois soulever les méthodes de collecte et la pertinence de ces données, nous devrons mesurer nos indicateurs d’endettement sur la base des données du FMI et de la Banque mondiale. C’est d’ailleurs ainsi que procèdent l’immense majorité des analystes, ce qui leur offre une sorte de « langage statistique commun ». De fait, les « World development indicators » de la Banque mondiale et le « Global development finance » de cette même institution feront office de source unique de données de base. L’intérêt principal de ce choix réside dans la relative homogénéité des méthodes de collecte des données, qui permet les comparaisons internationales et intertemporelles. Quelle que soit la qualité intrinsèque des données proposées dans ces sources, elles permettent de répondre à l’important critère de fidélité, qui n’est plus satisfait dès lors qu’on en appelle par exemple à des sources de données locales non homogénéisées, souvent difficilement comparables.

2. Le sens et la tonalité des indicateurs « officiels » produits par les IFI

Les mesures « officielles » de la dette sont de trois types. D’une part, un certain nombre de mesures « absolues », évaluées en dollars courants, offrent des indications annuelles sur les montants de stock et de service de la dette (total external debt et total debt service). Les montants de dette sont également divisés en stock de dette à long et à court terme (long-term debt, short-term debt), publique ou privée (private nonguaranteed debt, public and publicly guaranteed (PPG) debt). Le service de la dette est également divisé en service de la dette publique ou privée. D’autre part, les IFI proposent un certain nombre de ratios rapportant les valeurs préalablement citées soit au montant des agrégats de PIB ou de PNB, soit à celui des exportations de biens et services (Present value of debt (% of exports of goods and services), Present value of debt (% of GNI), Total debt service (% of exports of goods and services), Total debt service (% of GNI), Central government debt, total (% of GDP), Debt service (PPG and IMF only, % of exports of goods and services), PPG debt service (% of central government current revenue)). Enfin, sont proposés un certain nombre d’indicateurs de caractérisation, de description ou de composition de la dette et des flux financiers, selon les types de créanciers, les devises, les termes et échéances ou les formes d’emprunts concernés ; les montants de rachats et de réductions de dette, ainsi que ceux des réserves internationales sont également relevés.

Concrètement, il apparaît que l’ensemble de indicateurs d’endettement existant (les ratios) ont pour vocation d’être des indicateurs de la capacité des pays à assurer le remboursement de la dette, soit par la richesse qu’ils génèrent (PIB ou PNB), soit plus directement par la part de celle-ci permettant de générer des devises transférables (le montant des exportations). Ces indicateurs s’adressent donc fondamentalement aux créanciers et ne permettent que de savoir dans quelle mesure les richesses dégagées par les pays concernées sont susceptibles de leur permettre d’assurer leurs « devoirs » de débiteurs.

3. La nécessité d’approches complémentaires : quelques propositions

Parce que les indicateurs disponibles n’évoquent en rien les effets de l’endettement sur les pays débiteurs, il apparaît nécessaire de produire des indicateurs supplémentaires dont la vocation sera de juger de l’impact socio-économique de l’endettement et de mettre à jour la charge effective que représente la dette sur le développement des pays concernés.

Pour cela, il est d’abord nécessaire de choisir une mesure de la dette entre le stock que représente le montant total de la dette, évalué chaque année, et le flux que représente le montant du service annuel de celle-ci. Pour choisir d’observer l’une ou l’autre de ces quantités, il importe d’identifier clairement l’objectif visé par la mesure des indicateurs. Si l’objectif est de produire de l’information sur la capacité des pays à subir la charge de l’endettement ou sur l’impact, le poids de cette charge sur certains aspects socio-économiques, alors l’observation du service de la dette s’impose. En effet, ni les stocks constitués par l’accumulation de la dette, ni d’ailleurs les flux d’endettement n’ont en définitive d’influence clairement établie respectivement sur le développement ou sur la charge subie au jour le jour par un pays. Seul le service de la dette constitue une charge financière effective, captant une partie des fonds disponibles et se substituant à d’autres utilisations potentielles. D’autre part, ces flux de service de la dette, peuvent aisément - et sans ambiguïté de type flux / stock et inversement - être comparés ou rapportés à un grand panel d’autre flux financiers effectués au cours d’une période de temps donnée. C’est donc cette mesure qui sera dans un premier temps privilégiée, d’autant plus que les IFI attachent également le plus d’importance à cette dernière.

Les indicateurs pouvant être, dans un premier temps proposés, sont de trois ordres. Les premiers visent à mesurer le « poids » effectif du service de la dette sur les populations des pays débiteurs. A ce titre, nous pourrons évaluer le montant annuel du service de la dette par habitant, qui soulignera cette fois le point de vue des débiteurs sur la dette. Les seconds visent à mieux cerner le sens et la proportionnalité des flux financiers s’établissant entre créanciers et débiteurs. Nous proposons ici d’évaluer le rapport s’établissant entre le service annuel de la dette et la valeur nette de l’aide publique au développement reçue au cours de la même période. Enfin, les troisièmes ont pour objectif d’établir l’impact du service de la dette sur le développement des pays. Pour ce faire, nous rapporterons le service de la dette aux rentrées fiscales de l’Etat, aux budgets annuels de la santé et de l’éducation, à la masse salariale de la fonction publique et enfin au montant de l’investissement public. Ces différentes mesures montreront clairement comment la charge de la dette grève les possibilités de développement en se substituant à d’autres utilisations plus bénéfiques.

Ajoutons enfin que la mesure d’un ratio rapportant le service ou le stock de la dette au degré de mise en œuvre par les pays des recommandations du Consensus de Washington pourrait constituer un intéressant indicateur de la réussite en terme de désendettement de la mise en œuvre des plans d’ajustement structurel...

4. Premières indications statistiques sur les nouveaux indicateurs

Les valeurs des sept indicateurs proposés ont été mesurées pour l’ensemble des pays pour lesquels les données étaient disponibles, pour toutes les années comprises entre 1970 et 2001. Les premiers résultats statistiques pouvant être tirés de cette importante masse de données sont les suivants :

— Service de la dette par habitant : en 2000, sur 145 pays, le montant moyen s’élève à 112 $ par habitant lié au simple service de la dette. Ce montant est de plus de 36 $ / hab. dans la moitié de ces pays et il dépasse les 149 $ / hab. dans les 25 % de pays les plus durement affectés. Les valeurs les plus élevées se trouvent en Hongrie (1348 $ / hab.), en Argentine, en Croatie, en Corée du Sud, au Mexique, en Uruguay et en République Tchèque où la charge du service de la dette par habitant représente de 5 à 10 % du PIB / hab. La distribution de cet indicateur, très étalée vers la droite montre qu’assez peu de pays présentent des valeurs très élevées pour cet indicateur (Mé = 36 $), mais que celles-ci le sont énormément.

— Service de la dette / APD nette : en 2000, sur 135 pays, la valeur moyenne de cet indicateur s’établit à 15 (!), mais cette valeur est à manipuler avec précaution, tant les montant d’APD nette varient selon les pays. Ainsi, pour être plus « juste », on notera que dans la moitié des pays endettés, la charge de service de la dette est supérieure de plus de 30 % au montant d’APD nette perçus. Dans les 25 % de pays les plus défavorisés à ce titre, le service de la dette représente plus de 7,5 fois le montant d’aide reçu. En moyenne, sur la période 1970-2001, l’indicateur est impossible à évaluer rigoureusement pour certains pays, car l’aide nette est soit globalement négative, soit infinitésimale par rapport aux montants de service de la dette, c’est le cas par exemple du Venezuela ou de la Corée du Sud. Pour les autres pays, on notera que ceux pour lesquels l’indicateur prend les valeurs les plus élevées (jusqu’à 600, en moyenne (!)) sont la Turquie, le Chili, le Mexique, l’Argentine et le Brésil. On notera cependant que pour certains pays, particulièrement les plus pauvres, l’indicateur prend des valeurs inférieures à l’unité, indiquant un montant d’APD nette supérieur au service de la dette (Togo, Madagascar, Bangladesh, RD Congo, Ghana).

— Service de la dette / recettes fiscales : en 2000, sur 57 pays, la valeur moyenne de cet indicateur s’élève à 0,40, avec une distribution sensiblement normale. En moyenne, sur la période 1970-2001, cet indicateur montre que pour nombre de pays, le service de la dette représente plus de la moitié des recettes fiscales annuelles. Les pays pour lesquels il est le plus élevé sont la Bolivie (0,62), l’Equateur (0,60), la Papouasie Nelle Guinée (0,59), les Philippines (0,58), la Sierra Leone (0,54), le Mexique (0,53) ou encore la Jordanie (0,53).

— Service de la dette / budget de la santé : en 2000, sur 133 pays, la valeur moyenne de cet indicateur s’élève à 2,3, avec une distribution sensiblement normale. En moyenne, sur la période 1990-2000, cet indicateur montre que pour les trois quarts des pays endettés, le service de la dette représente un montant supérieur à celui du budget annuel alloué à la santé. Les pays pour lesquels il est le plus élevé sont l’Indonésie (16), le Nigeria (13), la Côte d’Ivoire (9), l’Angola (8), le Maroc (7) ou encore le Cameroun (6).

— Service de la dette / budget de l’éducation : en 2000, sur 63 pays, la valeur moyenne de cet indicateur s’élève à 1,5, avec une distribution sensiblement normale. En moyenne, sur la période 1980-2000, cet indicateur montre que pour 56 % des pays endettés, le service de la dette représente un montant supérieur à celui du budget annuel alloué à l’éducation. Les pays pour lesquels il est le plus élevé sur cette période sont le Nigeria (11), l’Indonésie (7), la Zambie (5) ou encore les Philippines (4).

— Service de la dette / masse salariale de la fonction publique : en 2000, sur 56 pays, la valeur moyenne de cet indicateur s’élève à 2,3, avec une distribution oblique à gauche (Mé = 1,3). En moyenne, sur la période 1990-2001, cet indicateur montre que pour la moitié des pays endettés, le service de la dette représente un montant supérieur à celui de la masse salariale publique. Les pays pour lesquels il est le plus élevé sur cette période sont la RDC et les Philippines (5), la Hongrie (4), la Colombie et le Mexique (3).

— Service de la dette / investissement public : en 2000, sur 58 pays, la valeur moyenne de cet indicateur s’élève à 4,1, avec une distribution oblique à gauche (Mé = 2). En moyenne, sur la période 1970-2001, cet indicateur montre que pour près de 60 % des pays endettés, le service de la dette représente un montant supérieur à celui de l’investissement public. Les pays pour lesquels il est le plus élevé sur cette période sont de deux types : à investissement public très faible, RDC (9) où Haïti (3), ou à poids de la dette relativement très élevé, Argentine (6), Brésil (4), Uruguay (4).

Ce texte a été rédigé par François Combarnous
(économiste, Université de Bordeaux IV)

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