Après deux décennies de dictature militaire soutenue par les institutions financières internationales, et la multiplication par 40 de la dette externe, l’Etat brésilien a adopté en 1988 une nouvelle Constitution dans laquelle était prévue la réalisation d’un audit |1.| sur la dette. Vingt ans plus tard, du fait de l’absence de volonté politique des différents gouvernements qui se sont succédé depuis lors, et malgré la pression des mouvements sociaux, cet audit n’a toujours pas été mené.
Le gouvernement Lula qui avait suscité de nombreux espoirs chez certains ne se démarque en rien de ses prédécesseurs et le Brésil maintient les taux d’intérêt les plus élevés au monde. Le résultat est que la dette continue de croître. Alors que la dette externe a augmenté de 80% entre 1995 et 2009 passant de 297 milliards de reais à 538 milliards de reais (148 à 267 milliards de dollars), la dette interne a pendant le même temps complètement explosé. Elle a été multipliée par 25, passant de 62 milliards de reais (30 milliards de dollars) à 1600 milliards de reais (793 milliards de dollars). La somme cumulée de ces deux dettes représente 80% du PIB brésilien.
Le Brésil consacre près de 30% de son budget au remboursement de ces dettes déjà maintes fois repayées et largement odieuses ; lorsqu’on y inclut les refinancements, on arrive alors à 50% du budget. Alors que les transferts liés au service de la dette ont représenté en 2008 la somme astronomique de près de 282 milliards de reais (140 milliards de dollars), la majorité de la population brésilienne paye le prix fort de cette politique : moins de 5% du budget va à la santé, moins de 3% à l’éducation et moins de 0,3% à la réforme agraire.
La mise sur pied d’un audit serait un bon moyen pour que les mouvements sociaux et les campagnes dette, en particulier la Auditoria Cidadã da Divida (Audit citoyen de la Dette) et Jubilé Sud Brésil, puissent rompre cette spirale infernale qui hypothèque la vie d’une grande majorité de la population brésilienne. Le Brésil a connu un précédent important en la matière : il s’agit de l’audit de la dette |2.| mis en place par décret par le gouvernement de Getulio Vargas en 1931 suite à la crise de 1929, qui a abouti à un moratoire sur l’essentiel des remboursements. Cet audit a révélé de très nombreuses irrégularités dans l’établissement des contrats, ce qui a permis au gouvernement d’obtenir une réduction d’environ la moitié du stock de la dette et a eu des conséquences très positives pour le développement du pays au cours des années 1930-1940.
Par ailleurs, en septembre 1999 et en février 2002, les mouvements sociaux ont organisé un Tribunal populaire contre la dette. S’il ne revêt évidement pas la portée d’un audit organisé par les pouvoirs publics, ce type d’audit citoyen a toutefois un impact important par son caractère pédagogique et la sensibilisation qui en découle.
Grâce à la ténacité de leurs luttes, les acteurs sociaux travaillant sur la question de la dette ont obtenu que la Chambre des députés vote le 8 décembre 2008 la mise en place d’une Commission d’Enquête Parlementaire sur la dette publique. Cette Commissão Parlamentar de Inquérito (CPI) a été proposée par le député Ivan Valente du PSOL (Partido Socialismo e Libertade) qui avait récolté les signatures du tiers des députés pour un audit des dettes de l’Etat fédéral, des Etats fédérés et des municipalités. Peu avant cela, le 13 novembre, Arnaldo Chinaglia, président de la Chambre des députés, recevait une délégation de la Commission d’audit de l’Equateur (CAIC) dans le cadre du séminaire international « Audit de la dette en Amérique latine » qui s’est tenu à Brasilia du 12 au 14 novembre pour diffuser l’expérience de l’audit de la dette de l’Equateur. L’expérience équatorienne et la mobilisation des mouvements sociaux ont joué un rôle déterminant dans la mise sur pied de cette Commission.
La Commission est composée de 23 membres effectifs et 23 suppléants issus des différentes tendances politiques représentées à la Chambre des députés ainsi que d’un titulaire et d’un suppléant pour les tendances non représentées. Cependant, très certainement dans l’intention de décourager les organisations sociales et les députés sympathisants, au 31 mai 2009, les principaux partis politiques comme le Parti des Travailleurs (PT) du président Lula et le Parti social démocrate (PSDB) de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso n’avaient pas encore désigné leurs élus devant prendre part aux travaux de la Commission, retardant ainsi son démarrage. Face à cette situation, les campagnes dette brésiliennes se sont mobilisées et ont rédigé un manifeste |3.| , signé par de nombreux mouvements sociaux et citoyens (dont le CADTM), qui a été remis aux dirigeants des différents partis n’ayant pas encore désigné leurs représentants ainsi qu’au président de la Chambre.
La mobilisation qui se poursuit devrait empêcher que les deux principaux partis responsables de l’accroissement faramineux de la dette depuis le début des années 1990 continuent de retarder le démarrage de la Commission. Celle-ci, en plus de faire la lumière sur la dette, devrait lever le voile sur les responsabilités et aboutir à des condamnations. L’enjeu de cet audit est d’autant plus crucial que la crise actuelle, tout comme celle des années 1930, va probablement aboutir à la dégradation des conditions sociales de la majorité de la population. Espérons que les responsables politiques brésiliens prennent la mesure de l’enjeu et s’inspirent de l’expérience positive des années 1930.
Publié : CADTM
Notes
|1.| L’article 26 de l’Acte sur les dispositions transitoires de la Constitution de 1988 dispose que : « Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente Constitution, le Congrès de la Nation promouvra à travers une commission mixte, l’analyse et l’expertise des actes et faits générateurs de l’endettement ». Il précise que cette commission aura le caractère légal de commission d’enquête parlementaire associée à la Cour des comptes, et qu’en cas d’irrégularité le Congrès émettra une déclaration de nullité et transmettra au Ministère public.
|2.| Voir Eric Toussaint, La Finance contre les Peuples. La Bourse ou la Vie, CADTM/Syllepse, Liège/Paris, 2004 chapitre 16, page 391.
|3.| Voir le texte en portugais : http://www.cadtm.org/spip.php ?article4399
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