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CADTM

Eric Toussaint : « Dette et souveraineté en Amérique latine ». Conférence au Congrès national argentin, 15 octobre 2014


par CADTM

22 novembre 2014

Le 15 octobre 2014 s’est tenu au sein de l’Auditoire de la Chambre des Députés un débat sur le thème « Dette et souveraineté en Amérique latine », auquel a participé Eric Toussaint, porte-parole du CADTM International, au côté de deux députés du secteur officialiste , Carlos Raimundi (Nuevo Encuentro, coalition de gauche menée par le Parti communiste) et Héctor Recalde (Frente para la Victoria, Front pour la victoire ), et de l’économiste Camila Vallejo. Cette rencontre était parrainée par le président de la Chambre des députés, Julián Domínguez, qui n’a pu être présent pour des raisons de santé et fut représenté par le juriste Eduardo Barcesat (avocat de l’Argentine dans les litiges portés devant le CIRDI, le tribunal de la Banque mondiale en matière d’investissements).

Devant une assemblée de quelque 90 personnes, Eduardo Barcesat a introduit l’activité. Il a mentionné la « bataille que livre l’Argentine contre les fonds vautours » et souligné la nécessité de réviser le statut juridique et constitutionnel de la dette externe. Il a mis l’accent sur l’existence de vices à l’origine des contrats d’endettement, qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes en bonne et due forme au cours de la période démocratique (depuis la restauration démocratique en 1983 - la dictature militaire s’est maintenue de 1976 à 1983 - jusqu’à aujourd’hui).

Eric Toussaint a débuté son exposé par un hommage à Alejandro Olmos (1924-2000) , qui a démontré et dénoncé le caractère frauduleux et odieux de la dette argentine contractée durant la dictature militaire, et dont la plainte a débouché sur une sentence judiciaire avalisant le caractère illégitime de la dette (Sentence Ballesteros, juillet 2000) mais qui n’a pas été appliquée par les gouvernements démocratiques successifs.

Eric Toussaint a ensuite souligné la nécessité fondamentale de récupérer la souveraineté juridique abandonnée par les pays et d’auditer la dette dont le remboursement pèse sur la majorité de la population. A cette fin, il soutient qu’il faut suspendre le paiement de la dette et procéder à un audit exhaustif, afin de déterminer les cas où la dette est légale et ceux où elle est odieuse, illégitime et illégale. Il a considéré comme un pas positif l’adoption début septembre par le Congrès argentin d’une loi en faveur de la création d’une Commission d’enquête parlementaire sur la dette externe disposant d’amples pouvoirs (art. 12 de la Loi 26984 de « Paiement souverain »). Néanmoins, il a manifesté ses inquiétudes quant au point se référant au caractère confidentiel de l’enquête, signalant qu’« une large participation citoyenne à l’audit est indispensable » ainsi que « la poursuite des responsables et des complices d’actes délictueux et ou criminels contre le pays ».

Il a évoqué les particularités de l’expérience équatorienne. A la différence du processus mené en Argentine, il a souligné que l’Equateur a suspendu le paiement de sa dette et réalisé un audit citoyen auquel il a participé en tant qu’expert international et représentant du CADTM. Au terme de l’audit, le gouvernement de Rafael Correa a décidé de suspendre le paiement d’une série de titres de la dette et de racheter 91 % de ces titres sur le marché secondaire à 30 % de leur valeur nominale. Le processus en Equateur n’a donc impliqué ni négociation ni restructuration avec les créanciers. Prouvant qu’il est possible de prendre des décisions unilatérales sur la dette, Eric Toussaint a également exposé le cas de l’Islande (2008-2013) qui, rejetant les pressions et menaces, et forte d’un large soutien populaire, a refusé de payer au Royaume-Uni et aux Pays Bas la dette issue des faillites bancaires.

Le député Héctor Recalde a ensuite présenté le cas de l’Argentine dans sa confrontation avec les fonds vautours comme un « engagement de la présidente Cristina Kirchner à ne pas payer la dette au prix de la famine des Argentins ». Héctor Recalde reconnaît que la confrontation n’est pas seulement avec le juge du district de New York, Thomas Griesa, mais avec tout le système juridique des Etats-Unis, « dans le cadre d’une reconfiguration du pouvoir mondial ». Il relève que la Loi de Paiement souverain stipule que « l’annulation de la dette doit être juste, équitable, légale et soutenable ».

L’économiste Fernanda Vallejo donna quant à elle un aperçu de la situation argentine lors de l’ascension à la présidence de Néstor Kirchner en 2003 et « des avancées accomplies depuis lors, parmi lesquelles la renégociation avantageuse obtenue en 2005, le gouvernement ayant dû assurer la gestion d’une dette qu’il n’avait pas généré ». Elle souligna la nécessité de « mettre en évidence les complices de l’endettement du pays, qui tiennent aujourd’hui des propos critiques dans les médias comme si de rien n’était ».

Le débat s’est poursuivi par un échange de questions-réponses, portant principalement sur les différences entre le cas de l’Argentine et l’endettement d’autres pays, et l’absence de conditions propices, jusqu’alors, pour poursuivre les enquêtes en cours.

Enfin, le député Carlos Raimundi mit en évidence l’importance de cette réunion à un moment où le pays se trouve « au centre des débats et des pressions du pouvoir financier mondial, avec une grande dignité du fait de la décision de la Présidente », et le fait que pour soutenir cette position, « il faut pouvoir compter sur un tissu social soudé ».

Parmi les observations finales, nous pouvons souligner les points suivants :

a) La constitution de la Commission d’enquête parlementaire sur la dette externe n’a quasiment pas été évoquée, bien que plus d’un mois se soit écoulé depuis l’adoption de la Loi de Paiement souverain. Cela donne l’impression que les litiges avec les fonds vautours, et/ou la responsabilité de fonctionnaires et spécialistes de gouvernements antérieurs en vue d’alimenter les débats des élections présidentielles de 2015, pourraient primer sur la mise en place de cette Commission.

b) Aucun autre député n’a pris part au débat. Néanmoins, des assistants et conseillers étaient présents, liés principalement au secteur officialiste et à la Banque centrale.

c) En l’absence de nouveaux éléments, il est pour l’heure impossible de savoir si la Commission d’enquête parlementaire se mettra en place, si elle aura, ou non, un caractère marginal et confidentiel. Au manque de clarté quant aux intentions du secteur officialiste (sans doute y-a-t-il des discussions en interne) viennent s’ajouter le rejet de sa création par l’opposition politique traditionnelle (la formation péroniste dissidente, le radicalisme et la coalition de droite PRO), et l’opposition et/ou l’indifférence de la gauche (le FIT, Front de gauche et des travailleurs) et du centre-gauche (Unidad Popular, Unité populaire) qui considèrent l’inclusion de la création de la Commission dans la Loi de Paiement souverain comme une « hypocrisie » du kirchnerisme.

Jorge Marchini est membre des Économistes de Gauche (EDI) et de l’Observatoire international de la dette (OID, http://www.oid-ido.org/)

Traduction en français par Cécile Lamarque


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