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Eric Toussaint

Grèce : Les diktats et le chantage exercés par la BCE


par Eric Toussaint

21 janvier 2016

Eric Toussaint a présenté cette conférence dans le cadre d’un panel modéré par Dimitris Papadimoulis, député européen de Syriza, au cours duquel sont intervenus également Marika Frangakis, membre du secrétariat politique de Syriza et responsable de son département économique, ainsi que Pearse Doherty, porte-parole sur les thèmes financiers du parti Sinn Fein d’Irlande. D’autres panels se sont déroulés pendant cette journée consacrée à la BCE au cours desquels sont intervenus Gabi Zimmer, députée européenne Die Linke, présidente de la GUE/NGL, Fabio Di Masi eurodéputé Die Linke, Miguel Urban eurodéputé Podemos, Harald Schumann qui a réalisé un excellent documentaire consacré à la Troïka http://www.youtube.com/watch?v=wXurytR1IAk L’enhttp://www.guengl.eu/news/article/t...semble des interventions peut être vu en vidéo

1. J.-Cl. Trichet, président de la BCE, durant la préparation du mémorandum qui a été imposé à la Grèce en mai 2010 a menacé de réduire les liquidités dont avaient besoin les banques grecques si la Grèce demandait une réduction de la dette.

Panagiotis Roumeliotis qui représentait la Grèce au FMI entre mars 2010 et décembre 2011, avant de devenir vice-président de la Piraeus Bank, a déclaré lors de son audition devant la commission pour la vérité sur la dette grecque : « Mr Trichet – à l’époque président de la BCE - était parmi ceux qui ont mené bataille contre une restructuration de la dette en menaçant la Grèce de lui couper les liquidités. En réalité, Mr Trichet bluffait pour sauver les banques françaises et allemandes ! ». Voir

Ce que la BCE a fait en 2015 sous la présidence de Mario Draghi constitue la concrétisation de la menace prononcée par son prédécesseur J.Cl. Trichet.

2. La BCE a participé en mai 2010 à la création de la Troïka qui a imposé des mesures qui violent les droits fondamentaux des citoyens et citoyennes grecques.

Le rapport de la commission pour la vérité sur la dette grecque a recensé une longue liste de mesures dictées par la Troïka (voir https://www.youtube.com/watch?v=wXurytR1IAk ) dans laquelle la BCE a joué et joue encore un rôle clé) ayant comme effet la violation de droits fondamentaux.

Les prêts accordés à la Grèce dans le cadre du mémorandum servent à protéger les intérêts des grandes banques privées françaises, allemandes et grecques alors qu’elles étaient responsables de la création d’une bulle spéculative du crédit qui a commencé à éclater en 2009.

3. Dans le cadre du programme SMP, la BCE a acheté en 2010-2011-2012 des titres grecs avec une décote importante

Pour la période 2010-2012, le total des achats de titres grecs aux banques privées atteindrait 55 milliards d’euros. Début 2016, la BCE détient encore pour environ 20 milliards d’euros de titres achetés pendant cette période et que la Grèce devra rembourser normalement jusqu’en 2018.

En rachetant des titres grecs sur le marché secondaire, la BCE a aidé les banques françaises, allemandes, grecques et d’autres banques privées à s’en défaire afin d’éviter le haircut de 2012. De plus, l’achat par la BCE de quantités significatives de titres sur le marché secondaire a eu pour effet d’augmenter le prix de ces instruments financiers. Cela a permis aux banques françaises, allemandes et grecques de réduire leurs pertes au moment de la revente.

En 2012, la BCE a refusé de participer à la restructuration et en 2015 elle a exigé le remboursement au prix facial en juillet-août pour un montant 6,7 milliards d’euros.

Entre 2011 et 2015, elle a reçu des intérêts très importants sur les titres grecs (voir plus loin).

La manière dont la BCE, dans le cadre de la Troïka, a organisé la restructuration de 2012 est tout à fait scandaleuse et marquée d’illégitimité évidente.

Les grandes banques françaises et allemandes ont été largement épargnées, elles étaient averties du haircut qui était en préparation. Les banques chypriotes qui avaient acheté énormément de titres grecs ont été directement affectées par le haircut. Mais plus grave, les fonds de pension grecs, les petits porteurs grecs, les travailleurs d’Olympic airways ont été les victimes directes du haircut. Le système grec de pension ne s’en est toujours pas remis. Les fonds vautour (vulture funds) par contre ont été épargnés par la réduction de valeur des titres.

La BCE a acheté la dette grecque en imposant des conditions drastiques. A certains moments, quand les autorités grecques ne coopéraient pas suffisamment dans la mise en pratique des mesures dictées par la Troïka, la BCE suspendait les achats de titres de manière à exercer un chantage.

Les gains réalisés par la BCE sur le dos du peuple grec

Bien que l’endettement de la Grèce envers la BCE soit de moindre importance que celui de l’Italie ou de l’Espagne, la BCE perçoit de la Grèce plus d’intérêts que de ces deux pays. Pour l’année 2014, le gouvernement grec a payé 298 millions d’euros d’intérêts sur les prêts de la BCE, montant qui représente 40 % des 728 millions d’euros de revenus que la BCE a perçus auprès des cinq pays concernés par le SMP, et ce alors même que la dette grecque envers la BCE ne représente que 12 % du total.

Dette due à la BCE par les pays concernés par le SMP (février 2015) 2

Pays % du total
Italie 52 %
Espagne 20 %
Grèce 12 %
Portugal 10 %
Irlande 6 %

Les gains réalisés par la BCE grâce aux titres grecs s’élèveront à plus 7,7 milliards d’euros d’ici 2018 quand les derniers titres non restructurés auront été remboursés par la Grèce. La possibilité de rétrocéder à la Grèce les gains abusifs réalisés par la BCE a chaque fois été utilisé comme un moyen de chantage sur la Grèce. Pendant les 6 premiers mois du gouvernement Tsipras, la BCE a refusé de rendre à la Grèce les gains abusifs qu’elle avait réalisés depuis 2012. Après la capitulation du gouvernement grec du 13 juillet 2015, les gains ont été partiellement rétrocédés, mais à la condition qu’ils servent à rembourser les créanciers. Ces gains rétrocédés à la Grèce ne bénéficient pas à la population grecque |1|.

Voir ci-dessous un extrait d’un document officiel datant de juillet 2015 :“Total SMP and ANFA profits until July 2018 amount to EUR 7.7 bn.If agreed by Member States, the SMP profits of 2014 and 2015 (totalling EUR 3.3 bn), although insufficient, could be used in July to repay arrears to the IMF and other upcoming payments.SMP profits of 2016, 2017 and 2018 could also be used for subsequent programme financing. Over the July 2015-July 2018 period, Greece is expected to receive EUR 2.7 bn in SMP profits (excluding the 2014 and 2015 profits used for urgent debt payments) and EUR 1.7 bn in ANFA profits from the other Member States and the BoG, reducing financing needs accordingly.” Voir http://ec.europa.eu/economy_finance... page. 10

La BCE et le fonds de stabilisation financière grec chargé de la recapitalisation des banques grecques (Hellenic Financial Stability Fund –HFSF–).

Parmi les membres du conseil général du Fonds de stabilité financière |2|, on trouve Pierre Mariani |3| qui est co-responsable de l’échec et du désastre financier de la banque Dexia. Cette banque belgo-franco-luxembourgeoise a dû être sauvée à trois reprises par les autorités belges, françaises et luxembourgeoises. Les lourdes pertes enregistrées par Dexia entre 2008 et 2012 n’ont pas empêché Monsieur Mariani de se faire voter de substantielles augmentations de sa rémunération. Pourtant, la BCE n’a rien trouvé de mieux que de le désigner comme un des dirigeants du Fonds de stabilité financière en charge de la recapitalisation des banques grecques.

Est-il acceptable de mettre dans la direction de l’organisme chargé de gérer la recapitalisation des banques grecques quelqu’un ayant une importante responsabilité dans le désastre d’une grande banque comme Dexia. Cette banque a vendu des milliards d’euros d’emprunts toxiques aux collectivités publiques françaises et sa faillite a lourdement impacté les finances publiques de la Belgique, de la France et du Luxembourg. Est-ce prudent de continuer à faire confiance à Pierre Mariani ? Quand Dexia a été sauvée par l’État belge, Pierre Mariani a dû la quitter à cause de sa gestion funeste, pourtant il a eu droit à un parachute doré d’un million d’euros. Pour l’année 2012, Dexia lui a versé 1 million 700 000 euros |4|. Et le voici à présent en Grèce pour participer à l’assainissement des banques grecques.

Parmi les autres membres du Conseil général du Fonds, on trouve Wouter Devriendt. Ce conseiller de la Belgique en matière bancaire a occupé des fonctions importantes dans deux banques qui ont dû être sauvées de la faillite en 2008 : Fortis, secourue par le gouvernement belge et revendue à BNP Paribas, et ABN-Amro, nationalisée par le gouvernement hollandais. Wouter Devriendt figure comme Pierre Mariani parmi les responsables de la crise bancaire en Europe.

Il serait dommage de conclure ce point sur la composition du Conseil général du HFSF sans mentionner Steven Franck qui a occupé des fonctions importantes dans la banque nord-américaine Morgan Stanley, puis à BNP Paribas entre 2006 et 2009 dans la période où cette banque contribuait activement à la création d’une bulle spéculative du crédit privé en Grèce et s’embourbait dans le marché des subprime et des produits structurés aux Etats-Unis. A noter aussi que Steven Fanck a travaillé pour la présidence des Etats-Unis à la Maison blanche et a servi dans l’aviation de la Marine de guerre des Etats-Unis.

Posons-nous la question : Est-ce normal que les intérêts des citoyens grecs et du pays soient confiés à des personnages de ce type-là ? La composition de l’organe de direction de l’organisme chargé de la recapitalisation des banques grecques n’illustre-t-elle pas parfaitement la nature de l’intervention de la BCE et de la Troïka en général, à savoir la défense et la promotion des intérêts du grand capital et des grandes puissances.

Le chantage permanent de la BCE à l’égard du gouvernement Tsipras en ce qui concerne l’accès des banques grecques à des liquidités

La BCE a l’obligation de fournir des liquidités aux banques de la zone euro. Lors du stress test auquel les banques ont été soumises en 2014, la BCE et les autorités de contrôle ont affirmé que les banques grecques étaient suffisamment solides. En conséquence, la BCE devait agir pour fournir des liquidités au système bancaire grec. Or pendant les 6 premiers du gouvernement Tsipras, la BCE a constamment tenu des propos qui ont déstabilisé le gouvernement et suscité les pires doutes sur ce qui allait arriver aux dépôts dans les banques grecques. Cela a catalysé gravement le retrait d’une partie significative des dépôts (environ 40 milliards d’euros ont été retirés des banques grecques entre janvier et juillet 2015). La BCE a maintenu ouvert le robinet des liquidités d’urgence en laissant entendre qu’à tout moment elle pourrait le fermer. Ce qu’elle a fait fin juin 2015 quand le gouvernement Tsipras a convoqué un référendum pour le 5 juillet 2015. En conséquence, les banques grecques ont été fermées à partir du 28 juin et cela pour une période de 3 semaines.

Au moment où la BCE a limité les liquidités d’urgence, il a été estimé que les banques grecques auraient pu avoir accès à 28 milliards supplémentaires de liquidités d’urgence. La BCE a clairement enfreint ses obligations telles que prévues par les Traités européens. Le blocage du système des paiements de la Grèce constitue une violation claire des dispositions prévues à l’article 127 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’UE).

Stournaras (actuel gouverneur de la banque centrale grecque et ex-ministre des finances du gouvernement Samaras) vient de déclarer qu’il a eu en 2015 des réunions régulières avec le président de la république et d’autres personnalités dans le but d’influencer les décisions que devaient prendre le gouvernement et le parlement grec.

Soulignons également que dans sa politique de déstabilisation du gouvernement Tsipras, la BCE a refusé d’acheter des titres grecs en 2015. Or depuis janvier 2015, dans le cadre du Quantitative Easing, elle a acheté des titres des autres Etats de la zone euro pour environ 60 milliards d’euros par mois. Maintenant que le gouvernement grec s’est soumis à un 3e mémorandum, la BCE envisage de commencer à lui acheter des titres à condition que celui-ci respecte les diktats néolibéraux en attaquant une nouvelle fois les pensions, en poursuivant les privatisations, etc.

La BCE et le référendum du 5 juillet 2015

La BCE a agi pour fermer les banques grecques à partir du 28 juin.

Le 29 juin 2015, Benoît Coeuré, membre du directoire exécutif de la BCE, dans une interview au quotidien Les Echos a déclaré qu’ « une sortie de la zone euro, jusqu’à présent tout à fait théorique, ne peut malheureusement plus être exclue », en ajoutant qu’il s’agit d’une conséquence de la décision d’Athènes de rompre les négociations. Il a ensuite dit que si les Grecs votaient ’OUI’ au référendum, il n’y aurait alors pas de doute que les autorités de la zone euro trouveraient une solution pour la Grèce. A l’inverse, si le NON l’emportait, « il serait très difficile de reprendre le dialogue » |5|.

Le 3 juillet 2015, le vice-président de la BCE, Vitor Constancio a annoncé qu’il ne pouvait pas confirmer si la BCE verserait des liquidités d’urgence (Emergency liquidity assistence - ELA) aux banques grecques dans le cas où les Grecs votaient NON le dimanche suivant. « Il s’agira d’une décision du Conseil des gouverneurs de la BCE. Nous devrons attendre et voir comment celui-ci analyse la situation » a-t-il dit dans une conférence de presse après un discours lors d’une conférence destinée au secteur financier |6|.

Le 14 septembre 2015, dans une interview donnée à l’agence de presse Reuters, Vitor Constancio a répondu à la question « quels ont été les doutes soulevés à propos de l’Euro ? » de la manière suivante : "Seuls les marchés ont eu des doutes quant à une éventuelle sortie de la Grèce de la zone Euro, ça n’en a jamais soulevé pour la majorité des États membres. Nous maintenons que l’Euro est irréversible. Aucun pays, ne peut légalement faire l’objet d’une expulsion. Cette perspective n’a donc jamais été une menace sérieuse" ».

La situation des banques grecques

Les pouvoirs publics sont devenus les actionnaires principaux des 4 principales banques grecques depuis 2010 mais à la demande expresse de la BCE, mais ils n’exercent pas réellement le pouvoir car ils ne disposent que d’actions préférentielles ce qui ne leur donne pas le droit de vote que permettent des actions ordinaires.

La concentration bancaire a augmenté. Les quatre banques principales en ont absorbés 7 autres depuis 2010. Une très grande partie des 45 milliards d’euros injectés dans les banques grecques est repartie à l’étranger et a servi aux actionnaires privés des banques à augmenter leur pouvoir économique.

Les banques grecques n’ont pas été réellement assainies, le Fonds de stabilité financière (HFSF) et la BCE n’ont pas favorisé la mise en place de mesures qui auraient permis de remettre en place un système bancaire solide, ce qui selon moi passe par la socialisation du secteur bancaire.

Un élément clé de de la mauvaise santé des banques grecques réside dans la quantité des prêts douteux (Non Performing Loans).

En décembre 2015, la BCE a poussé avec l’Eurogroupe à une opération financière sur les non performing loans (NPL), notamment en favorisant une fois de plus l’intérêt particulier du secteur privé. Des fonds d’investissements vont pouvoir racheter une partie des NPL et en tirer du profit. Une des conséquences de cette opération sera la réduction de la part du capital détenue par les pouvoirs publics.

La commission pour la vérité sur la dette grecque qui avait été créée par la présidente du parlement grecque en avril 2015 et qui a été dissoute par le nouveau président du parlement grec en novembre 2015 poursuit ses travaux en prenant en compte le nouveau contexte défini par le 3e mémorandum. Cette commission va produire un document public sur la situation des banques grecques en faisant un bilan critique de la manière dont ces banques ont été recapitalisées.

Nous aurons l’occasion de présenter ce document au sein du parlement européen le 1er mars 2016.

En conclusion, pour les raisons que je viens d’exposer, la commission pour la vérité sur la dette grecque a considéré dans son rapport rendu public en juin 2015 que les dettes réclamées à la Grèce par la BCE doivent être considérées comme illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables.

Voir 1
Voir 2

Vous pouvez regarder la conférence d’Eric Toussaint ici.


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